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ATF 4A_611/2015 du 19 avril 2016

Responsabilité de l’organe de révision : responsable, mais pas coupable

Dans cet arrêt non publié du 19 avril 2016, le Tribunal fédéral confirme une nouvelle fois que la preuve du montant du dommage allégué constitue le talon d’Achille de l’action en responsabilité dirigée contre l’administrateur d’une société anonyme ou l’organe de révision.

Suite à la faillite d’une société anonyme active dans le domaine de la construction, trois créanciers cessionnaires de la masse actionnent notamment l’organe de révision de la société pour avoir recommandé l’approbation sans réserve des comptes annuels de la société deux années de suite alors que le poste « travaux en cours » était selon eux surévalué. Ils soutenaient alors qu’il était de la responsabilité de l’organe de révision d’attirer l’attention du conseil d’administration sur ce point ou d’aviser le juge, car la société était alors déjà en situation de surendettement.

Il n’est en l’occurrence pas contesté que l’organe de révision n’a pas respecté ses obligations, mais les créanciers voient leurs conclusions en paiement rejetées, faute d’avoir établi leur dommage à suffisance de preuve. Plus précisément, les créanciers ont soutenu que le dommage de la société correspondait à la différence entre le « découvert dans la faillite » et le montant du surendettement au 31 décembre de l’année où le réviseur aurait dû constater un problème avec le poste des travaux en cours.

Le Tribunal fédéral rappelle que selon la jurisprudence, le dommage de la société consiste dans l'augmentation du découvert entre le moment où la faillite aurait été prononcée si le défendeur n'avait pas manqué à ses devoirs et le moment (impliquant une perte supérieure) où la faillite a effectivement été prononcée. Il ne suffit donc pas au demandeur de présenter l'évolution des fonds étrangers de la société faillie, en particulier en se fondant sur les créances admises à l'état de collocation. L'ensemble des créances admises à l'état de collocation entré en force peut toutefois constituer un indice d'une détérioration de la situation, en particulier lorsque le dividende de faillite est déjà proche de 0% à la première date de comparaison. Dans le calcul du dommage, seule la valeur de liquidation des biens entre en ligne de compte, puisque l'ouverture de la faillite entraîne la dissolution de la société (art. 736 ch. 3 CO) et sa liquidation en conformité des règles de la faillite (art. 740 al. 5 CO). La valeur de liquidation est déterminante non seulement pour fixer le montant du découvert à la date où la faillite a effectivement été prononcée, mais également pour fixer le montant du découvert à la date où la faillite aurait été prononcée si le défendeur n'avait pas manqué à ses devoirs. En effet, dans les deux cas, la valeur d'exploitation n'a plus aucune pertinence dans l'optique de la liquidation de la société. La détermination de la valeur de liquidation permettra de faire émerger d'éventuelles réserves latentes, lesquelles ne sont pas prises en compte dans le calcul de la valeur d'exploitation. Concrètement, les demandeurs devront solliciter des tribunaux de mandater un expert qui aura pour tâche d'établir les valeurs de liquidation aux deux moments déterminants. Ce n'est qu'ainsi qu'il est possible de dire si le dommage total (subi par la société) est au moins équivalent aux conclusions prises par les demandeurs.

En l’espèce, les créanciers sont tout d’abord partis de montants établis à la valeur d’exploitation et non pas à la valeur de liquidation pour établir le montant du découvert au 31 décembre de l’année concernée. Ensuite, ils n'ont pas désigné la date à laquelle la faillite aurait dû être prononcée si l'organe de révision n'avait pas manqué à ses devoirs, mais ont au contraire pris comme date de référence le montant du découvert au 31 décembre de l’année concernée. Enfin, les créanciers n'ont pas non plus établi, à la valeur de liquidation, le montant du découvert au jour de la faillite.

Par conséquent, le Tribunal fédéral conclut que les créanciers n'ont pas apporté la preuve du montant du dommage allégué (art. 8 CC et 42 al. 1 CO) et confirme le rejet de leurs conclusions en paiement dirigé contre l’organe de révision.

 

Note :

Cet arrêt confirme un arrêt extrêmement pédagogique rendu par le Tribunal fédéral dans ce domaine le 26 janvier 2016, ATF 4A_373/2015, qui rappelle les éléments suivants :

1.     Le dommage de la société consiste à comparer deux situations afin de déterminer l'augmentation d’un éventuel découvert, à savoir (1) le moment où la faillite aurait été prononcée si le membre du conseil d’administration ou l’organe de révision n'avait pas manqué à ses devoirs et (2) le moment où la faillite a effectivement été prononcée.

La date du bouclement au 31 décembre de l’année ne peut donc pas sans autre être choisie et ne correspond le plus souvent pas à la date où la faillite aurait été prononcée. En effet, le surendettement ne peut le plus souvent être constaté par les réviseurs que lors des travaux de révision qu'ils exécutent au cours du premier semestre qui suit le bouclement et il leur incombe encore d'informer le conseil d'administration, puis, si celui-ci omet d'avertir le juge, de procéder ensuite eux-mêmes à l'avis au juge (cf. art. 729c CO) ; ce n'est qu'alors que celui-ci peut prononcer la faillite.

2.     Le dommage se calcule à la valeur de liquidation, ce qui implique de procéder à une estimation à cette valeur tant au moment où la faillite aurait dû être prononcée, qu’au moment où la faillite est effectivement prononcée.

3.     Afin de prouver leur dommage, les demandeurs doivent solliciter des tribunaux de mandater un expert qui aura pour tâche d'établir les valeurs de liquidation aux deux moments déterminants. Par ce biais, il est alors possible de dire si le dommage total (subi par la société) est au moins équivalent aux conclusions prises par les demandeurs.